Pourquoi les chiens remuent-ils la queue ? La science dévoile le mystère




Le remuement de queue (aussi appelé le fouet) est probablement LE comportement canin que tout le monde pense comprendre. Nous l’interprétons instinctivement, nous nous en servons pour juger de l’humeur de nos compagnons, et pourtant… ce signal si familier reste l’un des moins étudiés scientifiquement. Pourquoi les chiens remuent-ils autant plus la queue que les loups ? Que signifie vraiment ce mouvement ? Et surtout, que nous révèlent les découvertes les plus récentes sur ce mystère quotidien ?

Un comportement typiquement canin

Commençons par une observation fondamentale : les chiens domestiques remuent la queue considérablement plus que leurs ancêtres les loups et autres canidés sauvages. Ce n’est pas un simple mouvement locomoteur résiduel, mais bien un signal de communication qui s’est amplifié au cours de la domestication.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce comportement omniprésent a été relativement peu étudié par les éthologues. Pendant longtemps, il était considéré comme un simple indicateur d’excitation ou de joie, sans que l’on cherche vraiment à en comprendre les nuances. Mais depuis une quinzaine d’années, les recherches révèlent une complexité insoupçonnée.

La découverte révolutionnaire : l’asymétrie émotionnelle

C’est en 2007 qu’une équipe italienne dirigée par le professeur Giorgio Vallortigara a fait une découverte stupéfiante : les chiens ne remuent pas la queue de la même manière selon leur état émotionnel. Plus précisément, la direction du remuement (gauche ou droite) est corrélée à la valence émotionnelle de la situation.

Comment ça marche ?

Queue vers la droite (activation de l’hémisphère gauche du cerveau) : émotions positives, comportements d’approche. Par exemple, lorsque le chien voit son maître, la queue bat davantage vers le côté droit.

Queue vers la gauche (activation de l’hémisphère droit du cerveau) : émotions négatives, comportements de retrait ou vigilance. Par exemple, face à un chien inconnu et dominant, la queue penche vers la gauche.

Cette asymétrie n’est pas anodine : elle reflète une latéralisation cérébrale des émotions, un phénomène que l’on retrouve chez de nombreux vertébrés, y compris l’humain. L’hémisphère gauche est généralement associé aux comportements d’approche et aux émotions positives, tandis que l’hémisphère droit gère plutôt le retrait et la vigilance face aux menaces.

Et les autres chiens le comprennent !

Mais ce n’est pas tout. La découverte la plus fascinante est venue en 2013 : les chiens qui observent leurs congénères sont sensibles à cette asymétrie. Dans une expérience ingénieuse, des chercheurs ont montré à des chiens des vidéos de silhouettes de chiens remuant la queue soit vers la droite, soit vers la gauche.

Résultat ? Les chiens observateurs montraient significativement plus de signes d’anxiété (augmentation du rythme cardiaque, comportements de stress) lorsqu’ils voyaient un remuement biaisé vers la gauche, comparé à un remuement vers la droite. Autrement dit, ce n’est pas qu’un simple mouvement : c’est un véritable système de communication sociale que les chiens décodent naturellement.

Point clé : La direction du remuement de queue constitue un canal de communication émotionnelle que les chiens comprennent instinctivement, leur permettant d’anticiper les intentions de leurs congénères avant même une interaction directe.

Une asymétrie qui se construit avec la familiarité

Des études plus récentes ont montré que cette asymétrie n’est pas figée : elle évolue avec les relations sociales. Une recherche de 2022 a révélé que le biais vers la droite (signe positif) se développe progressivement au cours des trois premiers jours d’interactions entre un chien et un humain inconnu. Plus la relation devient familière et positive, plus le remuement vers la droite s’accentue.

Cela suggère que l’asymétrie du remuement de queue est un indicateur extrêmement sensible de l’état de la relation sociale et de la valence émotionnelle d’une interaction.

Mais pourquoi les chiens remuent-ils autant la queue ?

Si nous comprenons mieux ce que signifie le remuement, une question fondamentale demeure : pourquoi ce comportement est-il si exacerbé chez le chien domestique comparé aux canidés sauvages ? Une étude récente publiée en 2024 dans Biology Letters propose deux hypothèses fascinantes.

Hypothèse 1 : Un sous-produit de la domestication

La première hypothèse suggère que le remuement rythmique accru serait apparu comme effet collatéral de la sélection pour la docilité et la douceur comportementale. Lorsque les premiers humains ont commencé à apprivoiser des loups, ils ont favorisé les individus les moins agressifs, les plus tolérants, les plus juvéniles dans leur comportement.

Un exemple frappant vient de l’expérience célèbre des renards argentés domestiqués de Novosibirsk, menée par Dmitri Beliaev à partir des années 1950. En sélectionnant uniquement sur la docilité (approche sans peur de l’humain), les chercheurs ont vu apparaître toute une série de changements morphologiques et comportementaux non sélectionnés directement : oreilles tombantes, pelage tacheté, queue enroulée… et remuement de queue similaire à celui des chiens !

Le remuement accru de la queue pourrait donc être une conséquence indirecte de la sélection pour la docilité, peut-être liée à des modifications neurologiques ou hormonales affectant le contrôle moteur.

Hypothèse 2 : Une sélection directe pour le rythme

La seconde hypothèse est encore plus intrigante : et si les humains avaient consciemment ou inconsciemment préféré les chiens qui remuaient davantage la queue, en raison de notre attirance innée pour les stimuli rythmiques ?

Nous, humains, sommes profondément sensibles au rythme. Nous aimons la musique, nous sommes apaisés par les bercements réguliers, nous synchronisons naturellement nos mouvements sur un métronome. Il est donc plausible que nos ancêtres aient, au fil des générations, favorisé les chiens dont la queue « battait la mesure » de manière plus marquée et plus visible.

Cette queue remuante aurait pu servir de signal de réassurance pour les humains : un chien qui remue vigoureusement la queue est perçu comme amical, non menaçant, engageant. Les chiens qui manifestaient ce comportement de manière plus évidente auraient ainsi bénéficié d’un traitement préférentiel, d’une meilleure alimentation, et donc d’un succès reproducteur supérieur.

Les deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives. Il est tout à fait possible que le remuement accru soit d’abord apparu comme sous-produit de la domestication, puis ait été renforcé par une sélection directe de la part des humains qui y trouvaient un signal social rassurant et engageant.

Applications pratiques pour nous les humains

Ces découvertes ne sont pas que de la science fondamentale : elles ont des implications concrètes pour tous ceux qui travaillent avec des chiens ou qui cherchent simplement à mieux comprendre leur compagnon.

Mieux lire l’état émotionnel

Observer la direction du remuement peut nous donner une information précieuse sur l’état émotionnel réel d’un chien. Un chien qui remue la queue n’est pas forcément « heureux » dans l’absolu : il faut regarder la direction, l’amplitude, la hauteur et la vitesse du mouvement. Un remuement vers la gauche, même vigoureux, peut indiquer de l’ambivalence ou de l’inconfort.

Socialisation et approche canine

Lorsqu’on présente deux chiens l’un à l’autre, observer l’asymétrie du remuement peut nous aider à anticiper la qualité de l’interaction. Un chien qui présente un remuement marqué vers la droite envers un congénère montre des intentions d’approche positive, tandis qu’un biais gauche suggère de la prudence.

Bien-être et caudectomie

Ces recherches soulèvent également des questions éthiques concernant la caudectomie (coupe de la queue). Si la queue est un organe de communication sociale si sophistiqué, sa suppression prive le chien d’un canal expressif majeur, ce qui peut entraver sa capacité à communiquer efficacement avec ses congénères et potentiellement augmenter les risques de malentendus sociaux.

Consultations vétérinaires et gestion du stress

Observer la latéralité du remuement dans un contexte vétérinaire pourrait devenir un outil pour évaluer le niveau de stress d’un animal. Un remuement qui vire progressivement vers la gauche indiquerait une montée d’anxiété, suggérant la nécessité de faire une pause ou d’adapter l’approche.

Conclusion : Un comportement banal, une complexité fascinante

Le remuement de queue du chien est l’exemple parfait d’un comportement que nous voyons tous les jours mais que nous comprenons finalement assez mal. Loin d’être un simple indicateur binaire « content/pas content », c’est un système de communication sophistiqué, latéralisé, sensible au contexte social et façonné par des milliers d’années de coévolution avec l’humain.

Les hypothèses récentes sur son origine évolutive nous rappellent aussi à quel point la domestication est un processus complexe, où se mêlent effets directs et indirects, sélection consciente et inconsciente, adaptations fonctionnelles et esthétiques.

Alors la prochaine fois que vous verrez votre chien remuer la queue, prenez le temps d’observer : de quel côté bat-elle ? À quelle hauteur ? À quelle vitesse ? Vous découvrirez peut-être des nuances émotionnelles que vous n’aviez jamais remarquées. Car comme souvent en éthologie, les comportements les plus familiers sont aussi les plus riches d’enseignements.


SOURCES SCIENTIFIQUES