Les termes « dominant » et « soumis » sont couramment utilisés pour décrire les comportements canins. Ces concepts sont issus d’une vision ancienne des hiérarchies sociales, popularisée par les premières études sur les loups en captivité. Cependant, ces idées ont depuis été remises en question par des recherches plus récentes en éthologie, la science qui étudie le comportement des animaux. En tant qu’éthologue spécialisé dans le comportement canin, je propose ici une analyse détaillée pour montrer pourquoi il est inexact de qualifier un chien de « dominant » ou « soumis » de manière absolue.
1. Origine du mythe de la dominance chez les chiens
La notion de dominance trouve son origine dans des études menées dans les années 1940-1950 sur des meutes de loups en captivité. À l’époque, les chercheurs ont observé que les loups semblaient adopter une structure sociale hiérarchique rigide, avec un « alpha » dominant les autres membres du groupe. Cette observation a ensuite été étendue aux chiens domestiques, sous prétexte qu’ils descendent directement du loup gris.
Cependant, il est important de noter que ces recherches ont été réalisées sur des loups vivant en captivité, dans un environnement qui ne reflétait pas leurs conditions de vie naturelles. Les loups en captivité, souvent issus de différentes meutes, étaient placés ensemble dans des espaces restreints, ce qui augmentait les tensions et les conflits entre eux. Cela a donné l’impression que les loups fonctionnaient selon une hiérarchie stricte et compétitive, où la dominance était une question de survie.
Or, des études plus récentes sur les meutes de loups vivant à l’état sauvage ont montré une réalité bien différente. Les loups sauvages vivent généralement en groupes familiaux, où les adultes jouent le rôle de guides et de protecteurs pour leurs jeunes, et non celui de « dominants » autoritaires. Il s’agit d’une organisation beaucoup plus coopérative que compétitive.
2. Pourquoi ce modèle n’est pas applicable aux chiens domestiques
Transposer ce modèle hiérarchique aux chiens domestiques est inapproprié pour plusieurs raisons. D’abord, les chiens et les loups se sont séparés sur le plan évolutif il y a des milliers d’années, et leur comportement social a évolué de manière distincte. Contrairement aux loups, les chiens vivent principalement dans des environnements humains, où leur relation avec les humains et les autres chiens est largement façonnée par leur interaction quotidienne avec nous. Ils ne fonctionnent pas selon une structure sociale rigide comme celle observée dans les meutes captives de loups.
Les chiens ont évolué pour être des animaux hautement sociaux et adaptatifs, capables de vivre dans des groupes variés, que ce soit avec d’autres chiens ou avec des humains. Ils ont une grande flexibilité dans leurs interactions sociales, et leurs comportements ne suivent pas toujours un modèle de dominance/soumission simple. En fait, de nombreuses études modernes sur le comportement canin montrent que les chiens fonctionnent davantage en réponse à des signaux contextuels et sociaux qu’en suivant une hiérarchie rigide.
3. La dominance : une relation relative, non absolue
Un des principaux problèmes avec l’idée de « dominance » chez les chiens est qu’elle est souvent mal interprétée comme un trait de personnalité fixe. En réalité, la dominance est un concept relationnel et contextuel. Elle ne s’applique pas à un chien de manière absolue, mais dépend toujours de l’interaction entre deux individus ou plus dans une situation donnée.
Par exemple, si vous observez trois chiens – appelons-les A, B et C – dans un même environnement, leurs interactions peuvent varier en fonction du contexte. A pourrait être considéré comme « dominant » par rapport à B et C dans une situation où il contrôle une ressource précieuse, comme un jouet ou de la nourriture. Cependant, B pourrait se comporter de manière dominante par rapport à C dans un autre contexte, tandis que C pourrait se montrer plus assertif lors d’une activité différente, comme lors d’un jeu avec d’autres chiens.
Ces interactions montrent que la dominance est fluide et qu’un même chien peut adopter différents comportements selon les circonstances. Un chien peut être assertif dans certaines situations et subordonné dans d’autres, mais cela ne signifie pas qu’il est intrinsèquement « dominant » ou « soumis ». La dominance est relationnelle : elle n’existe que dans le cadre d’une interaction avec un autre individu, et elle peut changer d’un moment à l’autre.
4. Le rôle du leadership bienveillant dans la relation homme-chien
Dans la relation entre un chien et son propriétaire, le terme « leadership » est souvent employé pour souligner l’importance de donner des repères clairs au chien. Il est crucial pour un chien de comprendre les règles de son environnement et de savoir ce qui est attendu de lui. Cependant, ce leadership ne doit pas être confondu avec la domination autoritaire.
Le leadership bienveillant consiste à guider son chien avec respect et à établir des règles cohérentes sans recours à la violence ou à l’intimidation. En tant que propriétaire, il est important de contrôler l’accès aux ressources importantes, telles que la nourriture, les jeux ou l’attention, tout en maintenant des règles claires et constantes. Un chien qui comprend que son propriétaire est un guide fiable se sentira plus en sécurité et plus enclin à adopter des comportements appropriés.
Ce type de leadership ne repose pas sur une hiérarchie stricte de domination/soumission, mais sur la confiance, la consistance et une communication claire. Le chien se tournera naturellement vers son propriétaire pour obtenir des indications sur la manière de se comporter, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des méthodes coercitives.
5. La correction : un apprentissage sans violence
Il est important de comprendre la différence entre punir et corriger un comportement. Punir un chien, en particulier de manière violente ou agressive, ne conduit pas à un apprentissage positif. Les punitions, souvent perçues comme humiliantes, ont tendance à créer de la peur et de la méfiance chez le chien, ce qui peut nuire à la relation de confiance avec son propriétaire.
Au lieu de cela, il est préférable d’adopter le concept de correction, qui permet au chien d’apprendre de ses erreurs sans subir de traumatismes. Une correction efficace vise à rediriger le comportement du chien vers quelque chose de plus approprié, tout en lui fournissant des repères clairs sur ce qui est acceptable. Par exemple, si un chien saute sur les invités en entrant dans la maison, une correction douce consisterait à le rediriger vers un autre comportement, comme s’asseoir calmement, plutôt que de le punir pour avoir sauté.
L’objectif de la correction est de favoriser l’apprentissage. En montrant au chien que son comportement n’est pas souhaitable et en lui offrant une alternative acceptable, il peut apprendre à adapter ses actions de manière positive. La correction doit être faite sans violence, en maintenant un cadre de sécurité et de confiance pour le chien. Il est ainsi possible d’éduquer le chien efficacement sans recourir à des méthodes agressives.
Un exemple souvent utilisé dans l’éducation canine est celui de la cannette remplie de pièces ou de cailloux, que l’on secoue pour surprendre le chien lorsqu’il adopte un comportement indésirable. L’idée derrière cette méthode est de créer une association désagréable pour que le chien arrête ce qu’il est en train de faire. Cependant, cette approche repose en grande partie sur la peur et la surprise, plutôt que sur un apprentissage positif et constructif.
Lorsque l’on secoue une cannette pour effrayer un chien, cela crée un stress immédiat surtout si le chien est déjà anxieux de base. Le chien, surpris par le bruit soudain, peut cesser son action par peur, mais il ne comprend pas nécessairement pourquoi. Il risque d’associer cette peur à l’environnement ou à la situation dans laquelle il se trouvait, plutôt qu’à son propre comportement. Cela peut entraîner des réactions de méfiance ou de stress dans des contextes similaires à l’avenir, et peut même générer de l’agressivité envers la personne qui tient la cannette. En effet, le chien pourrait développer une association négative avec la personne qui provoque cette peur, ce qui pourrait mener à des comportements de défense ou d’agression pour se protéger.
Cette approche s’apparente davantage à une punition et une politique de la terreur, car elle vise à inhiber un comportement par la peur, sans offrir au chien une véritable compréhension de ce qu’il devrait faire à la place. Au lieu d’apprendre de manière constructive, le chien cherche simplement à éviter une expérience désagréable. Une méthode plus efficace et respectueuse serait de rediriger l’énergie du chien vers un comportement acceptable, en utilisant des corrections non agressives et en renforçant positivement les bons comportements. Cela permet de créer un cadre d’apprentissage bienveillant, dans lequel le chien peut se sentir en sécurité tout en apprenant ce qui est attendu de lui.
6. Pourquoi la dominance rigide est une simplification trompeuse
Réduire le comportement canin à une dichotomie « dominant » ou « soumis » ignore la complexité des interactions sociales des chiens. Les chiens ne fonctionnent pas selon une hiérarchie rigide, mais selon un réseau complexe de relations contextuelles. Certains chiens peuvent afficher des comportements assertifs dans certaines situations, mais cela ne signifie pas qu’ils cherchent à « dominer » de manière générale.
De plus, l’idée que les chiens « cherchent à dominer leur propriétaire » repose sur une mauvaise compréhension de leur comportement. Les chiens ne cherchent pas à prendre le contrôle de la maison ou à être les « alphas ». Au contraire, ils répondent principalement aux signaux sociaux qu’ils reçoivent de leur environnement et de leurs interactions avec les humains. Lorsqu’un chien adopte un comportement indésirable, cela résulte souvent d’un manque de clarté ou de structure dans son environnement, plutôt que d’un désir de dominer.
Conclusion : vers une compréhension plus nuancée des comportements canins
En conclusion, qualifier un chien de « dominant » ou « soumis » est non seulement inexact, mais réducteur. La dominance n’est jamais absolue et doit être comprise comme un phénomène contextuel et relationnel. De plus, le leadership dans la relation homme-chien ne doit pas être confondu avec la domination coercitive. Il s’agit de guider le chien avec bienveillance, en instaurant des règles claires et en utilisant des corrections non agressives pour favoriser l’apprentissage.
L’approche éthologique moderne encourage à dépasser les concepts simplistes de dominance et de soumission, pour adopter une vision plus nuancée, respectueuse et constructive du comportement canin. Cela permet de créer une relation harmonieuse entre le chien et son propriétaire, fondée sur la confiance et la compréhension mutuelle.