Je suis convaincu que pour comprendre véritablement le chien, il faut d’abord penser nez. L’une des dimensions trop souvent sous-estimée, tant chez les maîtres que dans les ouvrages grand public, est celle de l’odorat, ce sens primordial qui, pour le chien, constitue non seulement un outil de perception mais aussi un véritable canal de communication. Dans cet article, je vous propose d’explorer comment le chien communique et s’informe de son environnement via l’odorat, en passant par les marquages urinaires et fécaux, les signaux chimiques comme les phéromones, et jusqu’à l’influence plus insoupçonnée du microbiote odorant.

Un odorat extraordinairement développé
Le chien possède entre 200 et 300 millions de récepteurs olfactifs, contre environ 6 millions chez l’humain. Son épithélium olfactif s’étend sur une surface d’environ 150 cm², soit 30 fois plus que la nôtre. À cela s’ajoute un bulbe olfactif proportionnellement 40 fois plus volumineux que celui de l’humain. Ces caractéristiques expliquent sa capacité à détecter des concentrations infimes d’odeurs, parfois jusqu’à une part par trillion.
Cette sensibilité lui permet non seulement d’identifier les individus, les émotions ou les traces laissées par d’autres animaux, mais aussi de « lire » l’histoire d’un lieu : qui est passé, quand, dans quel état émotionnel. Là où nous voyons une simple rue, le chien perçoit un véritable roman chimique.
Marquages et signaux olfactifs : l’écriture silencieuse du chien
L’un des aspects les plus visibles de cette communication olfactive est le marquage, urinaire, fécal, ou par glandes spécialisées. Le chien laisse dans l’espace des traces chimiques ; ces traces contiennent une foule d’informations pour un congénère qui les détecte.
Les marquages urinaires, par exemple, véhiculent des signaux sur l’identité, le sexe, l’état reproducteur, le statut social et même la santé d’un individu. Une étude portant sur les semi-chimiques de l’urine de femelles en œstrus a montré un intérêt accru chez les mâles lorsqu’ils reniflaient ces odeurs.
Par ailleurs, l’étude sur l’usage des glandes anales chez le chien, glandes riches en protéines odorantes de liaison (odorant binding proteins ou OBP), montre que ces glandes contiennent des protéines homologues à celles utilisées dans d’autres mammifères pour la communication chimique.
Il apparaît donc que le chien écrit et lit un véritable codage chimique dans son environnement.
Une étude sur les glandes podales (situés entre les coussinets) a également mis en lumière que les chiens peuvent détecter des odeurs laissées sous les pieds d’autres chiens et en distinguer le sexe et l’identité.
De façon plus large, une revue sur la communication olfactive chez les chiens indique que, bien que peu explorée, cette voie est extrêmement efficace car les odeurs persistent dans le temps et dans l’espace, permettant aux individus de récolter des informations à distance et en l’absence de contact direct.
Pour résumer : le marquage olfactif n’est pas un simple hasard de passage, c’est un langage invisible mais structuré.
Interpréter l’environnement : phéromones, microbiote et contextes olfactifs
Au-delà du simple marquage, le chien se tient informé de son environnement via différents types d’odeurs : celles des phéromones, produites spécifiquement pour communiquer, mais aussi celles liées à la flore microbienne – tant dans l’urine, les fèces, la glande anale, qu’au niveau cutané. Ces micro-écosystèmes odorants modulent l’information.
Les phéromones sont des signaux chimiques intraspécifiques qui n’ont pas seulement une fonction sentinelle mais aussi une fonction sociale et physiologique. Dans le cas des chiens, leur organe voméronasal (appelé aussi organe de Jacobson) joue un rôle très probable dans la détection de ces signaux.
Concernant le microbiote olfactif, bien que les travaux restent encore limités, il y a déjà des signaux forts : l’état de santé, la nutrition, la gestion, l’âge ou même l’hydratation peuvent modifier la capacité olfactive du chien.
Une étude sur les chiens de détection révèle que la richesse de leur microbiome intestinal varie selon la race ; même si la connexion directe microbiote-olfaction reste à établir, cela suggère que l’odorat est un phénomène multidimensionnel.
En tant que professionnel, je considère que cette dimension microbiote/odorat est prometteuse pour la recherche comportementale et l’éthique : un chien mal géré, ou dont la flore est perturbée, pourrait voir sa lecture olfactive altérée, ce qui influence son bien-être et son comportement.
L’empathie olfactive : sentir les émotions humaines
Au-delà de la communication entre congénères, l’odorat du chien joue un rôle majeur dans la relation qu’il entretient avec l’humain. Des recherches récentes ont mis en évidence la capacité du chien à percevoir les émotions humaines à travers les modifications chimiques de notre odeur corporelle.
Lorsqu’un humain ressent de la peur, du stress ou de la joie, son corps produit des composés organiques volatils (COV) différents. Une étude publiée dans Animal Cognition (2022) par Biagio D’Aniello et ses collègues a montré que les chiens exposés à l’odeur de la sueur d’une personne stressée présentaient une augmentation de la fréquence cardiaque, une élévation du cortisol et des comportements de vigilance. À l’inverse, lorsqu’ils sentaient l’odeur associée à la joie, leur comportement devenait plus détendu et affiliatif.
Ces résultats confirment que le chien ne se contente pas de “sentir” nos émotions : il les ressent à travers des signaux chimiques, ce qui nourrit son empathie et renforce la synchronisation émotionnelle avec son propriétaire. Cette faculté explique pourquoi certains chiens s’apaisent ou se montrent protecteurs lorsque leur humain est triste ou malade. L’odorat devient alors un outil d’empathie, un lien invisible mais puissant entre les espèces.
Pourquoi cela importe pour nous, intervenants et maîtres
Comprendre cet alphabet olfactif du chien a des implications directes pour l’accompagnement comportemental et les recommandations aux maîtres.
D’abord, cela valorise l’importance de laisser du temps au chien pour renifler dans des limites raisonnables. Contrairement à une promenade uniquement centrée sur le mouvement, encourager les explorations olfactives permet au chien de faire son métier, de collecter des données sensorielles et de se réparer nerveusement.
Ensuite, en tant que professionnel, cela permet de repérer des perturbations : un chien qui semble déconnecté de ses environnements olfactifs (ne renifle plus, ne marque plus) pourrait présenter un dysfonctionnement au niveau de l’odorat ou une anxiété sous-jacente.
Pour les maîtres, il importe de comprendre que le marquage n’est pas seulement un comportement problème à supprimer, mais un mode de communication. Dès lors, le cadre éducatif doit inclure une compréhension et une gestion positive de ces mécanismes, plutôt que leur répression mais cela doit rester cadré et des sanctions justes et non aversives peuvent être appliquées.
Conclusion
Le monde olfactif du chien est riche, multidimensionnel et souvent invisible pour nos sens humains. En tant qu’éthologue et comportementaliste, je considère que cette dimension devrait occuper une place centrale dans la compréhension du chien. L’odorat n’est pas secondaire : il constitue un véritable canal de communication et d’information, à la fois pour ce que le chien dit et pour ce que l’environnement lui dit. En intégrant cette perspective dans notre regard et nos pratiques, nous ouvrons la voie à une relation maître-chien plus respectueuse de l’espèce, à des interventions comportementales plus fines et à une formation de nouveaux professionnels davantage ancrée dans les réalités sensorielles canines.
Références scientifiques
- D’Aniello, B., Semin, G. R., Alterisio, A., Aria, M., & Scandurra, A. (2022). Interspecies transmission of emotional information via chemosignals: from humans to dogs (Canis lupus familiaris). Animal Cognition, 25, 779–788. https://doi.org/10.1007/s10071-022-01613-4
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- Communication in Dogs: Olfactory Communication. Animals (MDPI), 2018. https://www.mdpi.com/2076-2615/8/8/131

