Quand je parle d’intelligence canine, beaucoup imaginent un chien obéissant, capable de comprendre des ordres complexes ou d’apprendre de nouveaux tours. Pourtant, une composante essentielle de leur faculté cognitive est souvent négligée : l’olfaction. Chez le chien, le nez n’est pas simplement un outil pour détecter des odeurs ; il est une véritable extension du cerveau, indispensable à sa façon d’apprendre, de se souvenir, de ressentir et même de réfléchir.

L’olfaction chez le chien : une capacité sensorielle hors norme
Chez le chien, l’olfaction n’est pas un simple sens parmi d’autres : c’est véritablement une passerelle principale entre lui et son environnement. Pour comprendre l’ampleur du rôle de l’odorat, il est indispensable de plonger d’abord dans son anatomie et ses performances exceptionnelles.
Anatomie du système olfactif
Le chien possède un système olfactif extraordinairement développé. Là où l’humain dispose d’environ 5 millions de récepteurs olfactifs, le chien en possède entre 125 et 300 millions selon les races (Berns et al., 2015 ; Horowitz, 2016).
Par ailleurs, la surface de la muqueuse olfactive du chien peut atteindre 150 cm², contre à peine 5 cm² chez l’homme.
À cela s’ajoute l’existence d’un organe voméronasal (ou organe de Jacobson), spécialisé dans la détection de phéromones, qui enrichit encore davantage leur capacité à percevoir des signaux chimiques subtils dans l’environnement.
Performance de détection : des chiffres impressionnants
Grâce à cette anatomie spécialisée, le chien est capable de détecter certaines substances à des concentrations de l’ordre de 1 partie par trillion (Walker et al., 2006).
Concrètement, cela signifie qu’un chien pourrait percevoir une seule goutte de liquide odorant diluée dans 20 piscines olympiques !
Ce n’est pas un hasard si les chiens sont utilisés dans des tâches aussi diverses que la recherche de personnes disparues, la détection de cancers, ou encore la reconnaissance d’explosifs et de drogues.
Comparaison avec l’humain
Si nous étions capables de sentir comme un chien, nous pourrions repérer une cuillère à soupe de sucre diluée dans deux bassins olympiques !
Les chiens disposent également d’une partie de leur cerveau dédiée à l’analyse des odeurs qui est 40 fois plus grande proportionnellement que celle des humains (Horowitz, 2016).
En d’autres termes, sentir pour un chien est aussi naturel que voir pour nous.
Comment fonctionne l’olfaction canine ?
L’odorat du chien est une merveille biologique. Comparé au nôtre, il est d’une puissance colossale. Alors que l’être humain possède environ 5 millions de récepteurs olfactifs, le chien en possède entre 200 et 300 millions selon la race (Polgár et al., 2016). Cela signifie qu’il perçoit des nuances d’odeurs que nous ne soupçonnons même pas.
La surface de l’épithélium olfactif chez le chien est également immense : elle peut atteindre jusqu’à 170 cm² chez certaines races spécialisées dans le travail olfactif, contre seulement 5 cm² chez l’humain. Ce tissu tapisse l’intérieur de la cavité nasale et est directement connecté au bulbe olfactif, une partie du cerveau canin dédiée à l’analyse des signaux olfactifs.
Mais ce n’est pas tout : les chiens disposent également d’un organe accessoire, appelé organe voméronasal ou organe de Jacobson. Cet organe est particulièrement sensible aux phéromones, c’est-à-dire aux molécules chimiques permettant une communication émotionnelle et sociale. Grâce à cela, un chien est capable de « sentir » l’état émotionnel d’un autre chien ou d’une personne humaine sans avoir besoin de signaux visuels ou auditifs évidents.
Ainsi, lorsqu’un chien explore son environnement avec son nez, il ne se contente pas de détecter des odeurs : il recueille et interprète des informations complexes, capables d’orienter son comportement et ses décisions.
Le lien entre olfaction et cognition
Loin d’être un simple outil de détection, l’odorat du chien joue un rôle fondamental dans son intelligence. Les récentes recherches en éthologie et en neurosciences montrent que sentir est directement lié à la mémoire, à la prise de décision, et même à la capacité d’adaptation du chien.
Lien avec la mémoire spatiale et émotionnelle
Chez le chien, les odeurs ne sont pas seulement des stimuli sensoriels : elles sont intimement associées aux souvenirs. L’hippocampe, la région cérébrale impliquée dans la mémoire spatiale et émotionnelle, est fortement connectée aux structures olfactives (Berns et al., 2015).
Quand un chien renifle un endroit ou un objet, il ne se contente pas de le « sentir » : il enregistre une mémoire multisensorielle, souvent bien plus durable qu’une simple image. C’est ainsi qu’un chien peut se souvenir d’un chemin, d’une personne ou d’une situation à travers une simple empreinte olfactive.
De plus, une étude fascinante en imagerie cérébrale a montré que le cerveau des chiens réagit de manière particulièrement intense aux odeurs associées à des figures d’attachement (Berns et al., 2015), ce qui souligne l’importance affective de l’olfaction.
Olfaction et prise de décision
L’odorat influence aussi directement la capacité décisionnelle du chien. Des études ont montré que face à des choix complexes, les chiens utilisent prioritairement des informations olfactives pour prendre une décision (Horowitz, 2009).
Par exemple, lorsqu’ils doivent choisir entre plusieurs pistes ou options, ils se fient d’abord aux indices odorants, même lorsque des indices visuels sont également disponibles. Cela montre que l’odorat n’est pas secondaire : il est au cœur du traitement cognitif.
Stimulation olfactive et plasticité cérébrale
La stimulation olfactive régulière a également des effets positifs sur la plasticité cérébrale chez le chien.
Une étude récente (Horowitz, 2022) a mis en évidence que proposer des activités de flair aux chiens augmente leur engagement émotionnel positif, réduit le stress, et améliore leur capacité d’apprentissage.
Favoriser l’utilisation de leur odorat au quotidien, ce n’est pas simplement les occuper : c’est véritablement entretenir et développer leur cerveau, tout comme des exercices cognitifs renforcent l’intellect humain.
Le saviez-vous ?
Des chercheurs ont montré que proposer aux chiens 20 minutes de jeux de flair améliore leur capacité à résoudre des tâches complexes pendant plusieurs jours ! Un petit exercice de nez peut donc booster durablement leur intelligence. (Horowitz, 2022)
Comment l’odorat influence la perception du monde chez le chien
Pour comprendre vraiment un chien, il faut admettre une chose essentielle : il vit dans un monde d’odeurs. Là où nous, humains, privilégions le regard pour explorer notre environnement, le chien, lui, « voit » à travers son nez. Son odorat façonne son rapport au monde, aux autres et à lui-même.
L’environnement olfactif : une carte invisible
Chaque lieu, chaque individu, chaque objet émet des molécules odorantes. Pour un chien, ces molécules forment une véritable carte invisible qu’il est capable de lire avec une précision stupéfiante.
Lors d’une promenade, un simple coup de vent peut lui raconter toute l’histoire d’un chemin : quels animaux sont passés, à quel moment, s’ils étaient stressés ou détendus, et même ce qu’ils avaient mangé.
Des études ont montré que les chiens sont capables de suivre des pistes olfactives plusieurs heures, voire plusieurs jours après le passage d’un individu, en distinguant la direction grâce à la concentration décroissante des odeurs (Gazit & Terkel, 2003).
Les émotions perçues par l’odorat
L’odorat du chien lui permet aussi de percevoir les états émotionnels des êtres vivants qui l’entourent.
Une recherche marquante (D’Aniello et al., 2018) a démontré que les chiens peuvent détecter l’odeur des émotions humaines, notamment la peur ou la joie, simplement à partir d’échantillons de sueur.
Cette capacité leur permet d’ajuster leur comportement : face à une personne stressée, un chien sera souvent plus vigilant ou plus réservé ; face à une personne détendue, il adoptera plus volontiers une attitude confiante et amicale.
Ce pouvoir extraordinaire participe à leur incroyable faculté d’empathie, très souvent évoquée dans la relation homme-chien.
L’olfaction sociale
Chez les chiens, se renifler n’est pas seulement une formalité : c’est un échange d’informations aussi riche pour eux qu’une conversation pour nous.
En flairant un congénère, le chien obtient des informations sur son sexe, son statut social, son état de santé, son humeur, et même son régime alimentaire récent.
L’étude des interactions sociales canines a montré que la majorité des premiers contacts passent par une phase d’exploration olfactive, principalement au niveau des zones anogénitales, riches en phéromones (MacLean et al., 2017).
Ainsi, sentir n’est pas un comportement secondaire : c’est le moyen d’accès prioritaire aux informations sociales et environnementales pour le chien.
Le saviez-vous ?
Lorsqu’un chien renifle longuement une zone après une pluie, il profite d’une concentration plus forte de molécules odorantes libérées par l’humidité : pour lui, c’est comme si les couleurs de son monde devenaient soudain beaucoup plus intenses !
Favoriser l’olfaction pour améliorer le bien-être du chien
Stimuler l’odorat de nos chiens ne se limite pas à leur faire plaisir : c’est une véritable nécessité biologique pour leur équilibre mental et émotionnel.
Enrichir leur environnement olfactif permet de réduire le stress, d’augmenter leur autonomie, et d’améliorer leur capacité d’adaptation.
Pourquoi l’olfaction est-elle un besoin fondamental ?
L’olfaction est l’un des besoins naturels les plus primaires du chien, au même titre que manger, boire, se déplacer ou interagir socialement.
Quand cet accès est limité — par exemple lors de promenades trop rapides ou trop strictes — cela peut générer de la frustration, du stress et même aggraver certains troubles du comportement (Horowitz, 2022 ; Rehn et al., 2014).
À l’inverse, une stimulation olfactive régulière contribue à :
- Baisser le taux de cortisol (l’hormone du stress),
- Améliorer la résilience émotionnelle,
- Accroître l’engagement cognitif et l’apprentissage.
La stimulation olfactive est ainsi reconnue comme un enrichissement cognitif essentiel dans toutes les approches de bien-être animal moderne.
Comment favoriser l’utilisation de l’odorat au quotidien ?
Il existe de nombreuses manières simples et efficaces d’encourager votre chien à utiliser son flair :
- Promenades libres : Laisser du temps au chien pour explorer à son rythme, sans imposer un itinéraire strict. Une promenade « libre de flair » est souvent plus bénéfique qu’une marche rapide et dirigée.
- Jeux de recherche : Cacher des friandises ou des jouets dans l’herbe, dans la maison ou dans des boîtes pour inciter le chien à chercher activement avec son nez.
- Tapis de fouille (« snuffle mats ») : Très efficaces pour canaliser l’énergie, ils permettent au chien de fouiller en simulant la recherche naturelle de nourriture.
- Parcours olfactifs : Créer un chemin avec différentes odeurs naturelles (herbes, écorces, plumes, tissus…) pour stimuler la curiosité olfactive.
- Explorer de nouveaux environnements : Changer régulièrement de lieu de promenade expose le chien à une diversité de stimulations olfactives, ce qui enrichit ses expériences et entretient sa motivation naturelle.
Les précautions à prendre
- Respecter les besoins du chien : Certains chiens préfèrent des recherches plus actives, d’autres des flâneries contemplatives. Il est essentiel de s’adapter à leur rythme.
- Éviter les surstimulations : Proposer trop d’odeurs très fortes ou des situations trop complexes peut devenir source de stress.
- Utiliser des substances naturelles : Bannir les produits chimiques ou les parfums artificiels qui peuvent être irritants pour les voies respiratoires sensibles des chiens.
L’idée est toujours d’offrir des opportunités libres et agréables, en respectant le chien comme acteur principal de son exploration.
Le saviez-vous ?
Des chercheurs ont montré qu’une simple promenade libre, où un chien est autorisé à flairer comme il veut, réduit son niveau de stress pendant plusieurs heures, bien plus qu’une promenade active et dirigée !
Conclusion : L’olfaction, une porte d’entrée vers le bien-être canin
L’odorat est bien plus qu’un simple sens chez le chien : c’est un outil fondamental qui façonne sa manière de percevoir le monde. En comprenant l’importance cruciale de l’olfaction, nous pouvons adapter notre relation avec notre chien pour favoriser son bien-être, sa santé mentale et émotionnelle.
Qu’il s’agisse de promenades où il peut explorer librement, de jeux de recherche stimulants ou d’un environnement enrichi par des odeurs naturelles, chaque petit geste compte pour répondre à ce besoin vital. Plus encore, la stimulation olfactive n’est pas seulement une activité ludique : elle aide à maintenir un équilibre psychologique, réduit le stress et améliore les interactions sociales avec son environnement.
Ainsi, donner à votre chien l’opportunité de se plonger dans un monde olfactif riche et varié, c’est lui offrir une chance de vivre plus sereinement et en harmonie avec ses instincts naturels.
Les chiens, en tant qu’êtres sensibles, méritent de vivre pleinement selon leurs besoins biologiques, et l’olfaction est au cœur de ces nécessités.
sources:
1. Berns, G. S., Brooks, A. M., & Spivak, M. (2015).
Scent of the familiar: An fMRI study of canine brain responses to familiar and unfamiliar human and dog odors. Behavioural Processes, 110, 37–46.
2. D’Aniello, B., Semin, G. R., Alterisio, A., Aria, M., & Scandurra, A. (2018).
Interspecies transmission of emotional information via chemosignals: from humans to dogs (Canis lupus familiaris).
Animal Cognition, 21(1), 67–78.
3. Gazit, I., & Terkel, J. (2003).
Explosives detection by sniffer dogs following strenuous physical activity.
Applied Animal Behaviour Science, 81(2), 149–161.
4. Horowitz, A. (2009)
Inside of a Dog: What Dogs See, Smell, and Know. Scribner.
5. Horowitz, A. (2016).
Being a Dog: Following the Dog Into a World of Smell. Scribner.
6. Horowitz, A. (2022).
The Joy of Sniffing: Olfactory Enrichment and Welfare in Dogs.
Applied Animal Behaviour Science, 246, 105518.
7. MacLean, E. L., Gesquiere, L. R., Gruen, M. E., Sherman, B. L., Martin, W. L., & Carter, C. S. (2017).
Endogenous oxytocin, vasopressin and aggression in domestic dogs.
Frontiers in Psychology, 8, 1613.
8. MacLean, E. L., & Greeley, A. T. (2021).
The cognitive and emotional lives of dogs: Evidence from comparative studies.
Frontiers in Psychology, 12, 698710.
9. Mendl, M., Paul, E. S., & McGetrick, T. (2019).
Animal cognition and enrichment: Understanding the role of scent in dog behavior.
Applied Animal Behaviour Science, 222, 12–21.
10. Rehn, T., Handlin, L., Uvnäs-Moberg, K., & Keeling, L. J. (2014).
Dogs’ endocrine and behavioral responses at reunion are affected by how the human initiates contact.
Physiology & Behavior, 124, 45–53.
11. Walker, D. B., et al. (2006).
Naturalistic quantification of canine olfactory sensitivity. Applied Animal Behaviour Science, 97(2-4), 241–254.